Tuesday, December 6, 2016

Dix avantages paradoxaux de la cité des émaux

      Tout d'abord, les classiques, les avantages qui ne sont plus à prouver et auxquels, par conséquent, nous ferons un sort dans cette seule première rubrique : le prix des loyers, de l'essence luxembourgeoise et du chocolat belge, la dimension internationale du lieu, et l'on pourrait presque dire la citadelle, même si ce n'est pas à proprement un avantage matériel (vous vous souviendrez néanmoins de ses fossés en cherchant un terrain de footing dans les environs; vous en aurez vite fait le tour, mais je doute qu'avoir salué les chèvres et des remparts de trois-cents trente-quatre ans vous laisse l'impression d'avoir perdu votre temps).

      L'eau fraîche au robinet. A Paris, vous vous lamentez peut-être du calcaire qui souille votre verre à brosse à dents; phobiques à juste titre, vous passez l'eau au filtre d'une carafe spécialisée; vous confiez à vos cocktails des glaçons parfois plus gros que des icebergs, en exagérant à peine – mais la quantité d'eau dans les cocktails affaiblit quelque peu cet argument- toujours est-il qu'à Longwy, versez dans votre eau un mince filet de grenadine, ou de sirop biologique du commerce équitable sans gluten au fruit de la passion, et vous voilà à Miami, en train d'écouter les Beach Boys sous un parasol en simili paille comme sur les cartes postales. La fraîcheur de notre eau est légendaire.

    La qualité de l'électroménager. Allez savoir pourquoi, les radiateurs ici sont d'une efficacité redoutable; n'allez pas trop vite en tournant la manivelle, vous pourriez avoir une mauvaise surprise analogue à celle qu'ont ceux qui sous-estiment la puissance de leur grille-pain; car oui, pour le dire en un mot, ces radiateurs seraient presque une raison de vous faire apprécier la fraîcheur du robinet, voire, vous faire réclamer des douches froides à la pomme que vous agitez au-dessus de votre tête le matin. Ce n'est pas sans nostalgie que j'ai une pensée pour toi, petit radiateur à la chaudière au gaz bruyante de mon appartement de Montpellier.

     L'entraînement aux conditions climatiques extrêmes. Il paraît que c'est encore l'automne. Bon. Tout à l'heure, au supermarché, j'ai entendu quelqu'un qui parlait de canicule, en comparaison des jours à venir. En attendant, vous avez intérêt à bien vous entendre avec vos gants, bonnet, écharpe, manteau, ainsi qu'avec le vent, le froid qui congèlerait vos poumons si vous osiez respirer de manière un peu trop gourmande, le brouillard, tout blanc, que vous traversez à l'aveugle comme dans les films de guerre et les dessins animés sur le pôle Nord. C'est dans l'obstacle, la difficulté, l'adversité, même, que la vertu, le courage grandissent; c'est peut-être ce qui donne aux Lorrains ce caractère un peu renfermé au premier abord, mais en réalité fiable et déterminé.

      La place dans le frigo. Eh oui, il est certain que les premiers jours de votre emménagement (futur) à Longwy, vous n'aurez pas forcément de réfrigérateur à portée de main, n'ayant pas encore obtenu tout ce qu'il fallait pour étoffer votre home, sweet home longovicien. N'ayez crainte : le rebord de la fenêtre, que je vous souhaite large, nombreux et bien exposé, saura accueillir les quelques denrées qui en auraient besoin, ou qui n'auraient pas trouvé place dans un garde-manger déjà bien approvisionné. Mais gare ! Car une fois quelques mois passés, la saison a changé, et voilà votre nourriture mise dans l'équivalent naturel du congélateur.

     La chaleur naturelle. Que de froid, me direz-vous, dans ces premiers avantages. Oui, c'est vrai, mais vous vous réchaufferez en montant la grimpette, chaque matin, en semaine pour aller au travail, et le week-end pour le plaisir, pendant votre footing, aussi vrai qu'il est difficile de s'en lasser. Bien sûr, à vos premières courses, vous ferez une pause au milieu, vous la finirez en marchant; puis, très vite, après quelques semaines d'entraînement, vos cuisses ne verront plus la différence entre montée et descente, ou presque. Cet avantage est l'apanage des bas-longoviciens, auxquels je me flatte d'appartenir.

     Le temps disponible. A Montpellier, Paris ou Duisbourg, vous vous êtes sans doute inscrit à une salle de fitness à laquelle vous n'allez pas tous les week-ends; certes, vous irez bientôt, le mois prochain, pour vous rattraper, et faire toutes vos séances en retard d'un coup, parce que là vraiment, vous étiez débordé et que... bon... fatigué quoi... A Longwy, en dehors du cinéma, peu de distractions. Plus d'excuses, et surtout, plus besoin d'excuse : la salle de fitness occupe votre solitude et comble votre besoin de mouvement. Voilà une occupation saine et profitable à Longwy. Cela n'a pas un rapport direct, mais je comprends mieux maintenant pourquoi le champion du monde d'haltérophilie a été plusieurs fois un Albanais.

     Le calme. Vous ne savez pas encore si vous avez la voc' (oui, je parle de la vocation monastique) ? Un stage à Longwy vous aidera peut-être à mener à bien votre discernement. Longwy est une retraite, un pays calme où les gens restent ou ne passent pas du tout; nulle autoroute, nul hub, point d'essais nucléaires ni, pire, de soirées étudiantes ou de voisins aigris. Le calme coule au robinet, par les portes, dans les rues, sur les places. Certains disent un peu vite “ville morte”; certes, les usines ne chantent plus, les hauts-fourneaux se sont tus, mais pourquoi ne pas apprécier un peu ce calme, pourtant si rare à l'époque ultramoderne et technologique où nous vivons, véritable ère de pollution sonore s'il en fut ? N'oublions pas que ce calme est synonyme de lecture et de sieste.

     Le trésor caché. Puisque les gens de France ne sont que peu au courant des avantages de la cité des émaux, ils n'ont pas l'audace de demander le lycée de notre ville sur leurs fiches de mutations académiques de l'Education Nationale : ils se ruent sur les lycées de centre-ville pour enseigner aux élèves de la bourgeoisie provinciale aux yeux que prépas et grandes écoles font déjà briller. Ils n'ont pas compris qu'en arrivant dans un lycée moins convoité, ils auraient pu avoir plus facilement les élèves charmants d'excellentes classes, qu'ils auraient mis quelques années et quelques points à obtenir dans un établissement plus prestigieux de Nancy ou de Metz. (Par avance, pardon pour le côté technique et un peu happy few de ce paragraphe.

     Le dépaysement. Le plus grand avantage, sans doute, ou en tout cas le plus profond, de notre belle cité lorraine. C'est d'abord, quand vous y arrivez, un décentrement spirituel : la vie ici est à un autre rythme, et surtout une autre époque. Les vieux bâtiments vous rappellent que les années 30 ne sont pas si loin (moins loin qu'à Lyon ou à Marseille), et vous sentez la densité d'un passé métallurgiste dans l'architecture comme dans les souvenirs des quelques témoins avec qui vous avez eu la chance de discuter. Ensuite, quand vous rentrez à Paris (si cela vous arrive, de temps en temps), vous voyez tout d'un autre oeil : vous vous rendez soudainement compte qu'il y a du monde dans les rues, que les bâtiments sont nombreux et même grands, vous comprenez tout à coup les touristes japonais ou brésiliens; vous appréciez encore plus Montpellier, vous trouvez les villes de province grandes et animées. Pour ma part, ce ne serait pas mentir que de dire que je dois à Longwy d'avoir rafraîchi mon regard sur notre beau pays, pour ne pas parler du reste du monde, qui semble valoir aussi le détour.



1 comment:

  1. C'est très gentil le regard que vous portez sur Longwy et ses élèves.

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