Tuesday, October 25, 2016

Longwy, mon amour


La petite Longovicienne

(la petite sœur de la grande)


Longwy, mon amour

Un jour, si vous passez aux confins de Lorraine,
Goûter de ses vallons l'atmosphère sereine,
Visiter un cousin, un oncle d'autrefois,
Ou payer votre essence au prix luxembourgeois,

Bienheureux êtes-vous ! Une auguste commune
Que teint, après l'été, la feuille jaune ou brune,
Pourra vous prendre à table (à moins qu'il ne soit tard)
Et vous ferez la sieste à l'ombre des remparts.

Comment ? Vous n'aimez pas les plats de morbiflette ?
Contemplez les émaux du fond de votre assiette :
Le turquoise marin et la fleur de pommier
De leurs douces couleurs sauront les compenser.

A moins qu'il ne vous faille un peu de promenade...
Descendez la grimpette en franches cavalcades !
Ses marches sont nombreuses; la forêt, l'air pur,
Font supporter sa pente raide comme un mur.

Si vous avez la force des métallurgistes,
Venez donc aux fourneaux, ou bien suivez la piste
Menant jusqu'à la mine... (Ô tourments du travail
De qui coule la fonte ou martèle le rail !)

- Mais non, c'est impossible, bien sûr, et pour cause :
Depuis plus de trente ans les usines sont closes.
Remontez donc la côte, et pour vous consoler,
Visitez le musée du fer à repasser.

On s'ennuie, dites-vous ? Notre vie vous est fade ?
Place Darche, un grand bar vous verse une rasade;
Vous y noierez peut-être votre désespoir,
Car regardez dehors : il se met à pleuvoir.

Vous commencez alors à rêver de Belgique,
De monts de chocolats, de frites authentiques -
Ô traîtres voyageurs, ô touristes ingrats,
Osant, du cher passé, détourner tous vos pas !

Longwy ! Malgré l'aspect funestement sinistre
Que l'on trouve parfois à tes murs ocre ou bistre
Au creux de ton vallon un peu gris, un peu vert,
Tu sais au moins encor nous inspirer des vers.

                                                                  V. C. 

Tuesday, October 18, 2016

Un peu de culture, mes amis

La Longovicienne

Chronique d'un pays oublié
paraissant le mardi



    Une expression proverbiale de la sagesse lorraine prétend qu'à Longwy, il n'y a que deux saisons : celle où il pleut, et celle où il fait froid. L'âme populaire me semble pour une fois avoir fait une légère erreur d'appréciation : elle a oublié la saison des nuages. Bien sûr, il ne fait pas à proprement parler chaud, mais pour l'instant, je dois dire que je m'attendais à des froids plus sévères, car pour être honnête, ceux-ci n'excèdent pas ceux de la région parisienne où il m'est arrivé plus d'une fois de passer mes fins de semaine.

     Et puis, surtout, comment rester aveugle aux couleurs riantes des frondaisons automnales ? Les chênes, les frênes, les hêtres, les marronniers même, qui, tels les cocotiers des plages sauvages du Brésil avec leurs dangereuses noix, vous canardent parfois de leurs bogues lors de vos passages sur la grimpette, tous les arbres s'ornent peu à peu de manteaux colorés de toutes les nuances intermédiaires du jaune, du brun et du roux, que leur hauteur impressionnante rend souvent magistrale, pour ne pas dire impertinemment élégante. Les rangées de tilleuls jaunes dans le parc de Longwy bas feraient presque l'effet de mimosas en fleurs, pour peu qu'on ait consommé un peu le calumet de la paix, ce qui n'est pourtant pas mon cas. Bientôt écloront ces fleurs si particulièrement belles qu'on ne voit qu'en automne et dans les vases secs des maisons mélancoliques, les fanées.

     Alors, quoi de mieux, en cette saison spectaculaire, que d'approfondir sa connaissance de la ville et de profiter, dans une saison où marcher n'est pas encore un supplice, de la science absolument irréprochable et à plusieurs égards impressionnante d'un collègue professeur d'histoire, qui, à propos des remparts de Vauban à Longwy, sait tout et même un peu plus ? Je ne cite pas son nom pour ne pas blesser sa modestie, mais beaucoup auront reconnu un spécialiste hors pair de Longwy, qui n'a pas chômé au moment du classement de notre place forte au Patrimoine Mondial de l'UNESCO (cocorico!). La liste d'une douzaine de places fortifiées de Vauban excluait celle de Lille (eh, eh), qui est un peu plus ancienne et que l'envoyé de Louis XIV n'a fait que consolider; alors que chez nous, c'est du 100% XVIIe siècle, millésime 1684. Je ne résiste pas à la tentation de vous en confesser quelques mots.

     Vous voilà devant la Porte de France (qui sert d'illustration Wikipedia à Longwy, et m'a donné l'envie, un peu légèrement pour les raisons que vous savez, de placer le lycée de la ville en première position sur ma liste de vœux de mutations académiques). Vous êtes donc sur un pont au-dessus d'un fossé profond où vous tremblez de tomber et où vous faites votre footing le dimanche matin, et les remparts vous contemplent, du haut de leurs 14 mètres. Leurs pierres sont bosselées, ce qui paraissait plus beau à Vauban pour une place forte royale, et permettait de faire rebondir les boulets du XVIIe siècle (mais ceux de 1940 sont passés à travers et ont laissé quelques trous). La forme générale des remparts est une étoile, qui permettait aux défenseurs d'être plus nombreux à repousser d'éventuels assaillants, si toutefois il s'en trouvait pour désirer s'emparer de Longwy, ce qui s'est produit plusieurs fois au cours de l'histoire, il y a assez longtemps.

     La guerre de 1914 est cause que l'étoile n'en est plus totalement une : les branches situées du côté belge ont été détruites par les Allemands - rappelez-vous la résistance héroïque du colonel Darche mentionné dans une précédente chronique. Cette partie en ruines des remparts dont les vieilles cartes postales gardent le souvenir en noir et blanc a été remplacée par des immeubles laids dans les années 1960. Entre-temps, en 1940, les combats ont fait rage, trois jours durant, dans les rues de Longwy, et les bâtiments qu'on avait restaurés après la première guerre ont retrouvé leur varicelle d'éclats de balles sur les murs, que l'on peut voir encore aujourd'hui, y compris sur le musée du fer à repasser.

     L'actuel musée du fer à repasser est situé dans le bâtiment stratégique de la boulangerie, qui permettait d'alimenter les soldats pendant un siège. C'est ce bâtiment du XVIIe siècle que vous trouvez à votre droite quand vous entrez à Longwy par cette Porte de France. Tout avait été prévu pour fluidifier le passage des hommes qui apportaient ici des sacs pleins de blé, et leur éviter de croiser ceux qui remportaient des sacs vides vers les réserves. Si vous aviez assisté à cette visite, vous auriez pu passer avec nous les lourdes grilles de métal habituellement fermées à clé et voir ces immenses entrepôts cachés dans l'épaisseur des remparts. De lourdes portes et un poste de garde empêchaient les paysans un peu trop gourmands -ou affamés- de venir se servir dans les réserves de blé militaire.

     C'est aussi dans ces souterrains des remparts qu'après quelques galeries basses de plafond, on peut accéder à la salle des POUDRES. Ici, les soldats, comme dans la fameuse chanson sur la Lorraine, étaient priés de chausser des sabots pour ne pas causer d'étincelles avec les clous de leurs semelles; on allumait la lumière à travers une vitre à l'extérieur de la salle, toujours pour éviter tout contact avec un élément igné. Enfin, pour le cas où le pire avait dû tout de même se produire, la salle avait une voûte en arc brisé, pour permettre à l'explosion de se produire vers le haut, et d'arracher ainsi le plafond, et d'épargner ainsi les murs, qui protégeaient la place forte.

     Ah ! Qu'est-ce qu'on en apprend sur Longwy ! En fait, il y aurait encore de nombreux détails à mentionner, comme ce boulet allemand du 21 août 1914 qui frappa l'église saint-Dagobert de Longwy Haut à 5h30 du matin (provenance Nord-Est), détruisant une partie de la façade, mais laissant la tour utilisable pour l'observation, qui portait jusqu'à 50 km aux alentours; le clocher, d'ailleurs, était trop lourd, si bien que la façade avait tendance à s'écrouler d'elle-même, même avant la guerre. Ou encore, le puits de la place Darche, qui abrite aujourd'hui l'office du tourisme (si, si), avec ses 50 m de profondeur, exploré dans les années 1990 par les spéléologues de Longwy et protégé par une petite bâtisse si solide qu'elle a résisté à plusieurs obus, desquels, par endroits, on peut voir encore la pointe plantée dans le mur extérieur.

     En sympathisant du patrimoine longovicien (peut-être un jour compagnon de route), je m'étonne que les livres vendus sur l'histoire de notre ville soient vendus si chers; difficile de s'instruire sur Longwy à moins de 30 ou 40 euros. Je comprends que les livres à faible tirage se vendent plus chers (certains en font même un argument marketing et tirent des “séries limitées” !), mais il faudrait pouvoir faciliter l'accès à la connaissance d'un pays si digne d'intérêt. Je ne désespère pas de me procurer un jour un livre d'Olivier Cortesi, historien en titre de Longwy que le Service du livre luxembourgeois décrit en ces termes élogieux : “Déjà bien connu comme historien et porte drapeau du Pays-Haut Lorrain, longovicien de naissance et de cœur, diplômé d'un D.E.A. d'Histoire médiévale à l'Université de Nancy II, Olivier Cortesi associe puissance de travail et passion pour toutes choses disparues.“

     Puisque l'ensemble de ses titres est qualifié d'“actuellement indisponible” sur Amazon, je m'en irai commander son livre La grande histoire de Longwy à la librairie Virgule, qui, soit dit en passant, est une véritable institution à Longwy. Pour l'instant, je n'en ai pas vu grand chose, sinon le rayon fleurs (avec par exemple Faut pas pousser mémé dans les orties), le rayon animaux-pour-les-enfants (le cheval! La poule!), bien sûr les têtes de gondole avec les best-sellers (couverture coucher de soleil avec une petite citation philosophique que l'auteur n'a pas comprise en guise de titre), ou encore le rayon des langues, avec son guide de portugais, sa méthode Assimil pour le luxembourgeois et son manuel de belge (il paraît qu'il est plus facile à parler qu'à comprendre); pour apprendre le patois mosellan, en revanche, il faut apparemment se fendre d'un détour par le rayon histoire. Je brûle de poursuivre mon exploration de cette boutique, et le magazine Passion Vosges du marchand de journaux ne parviendra pas à m'en détourner -qu'il se le tienne pour dit.

     Eh oui, que voulez-vous, on se cultive à Longwy. L'autre jour, d'ailleurs, je m'instruisais devant la machine à laver du Lavomatic à l'aide, non pas d'un livre, mais d'une tablette-liseuse, qui présente l'intérêt non négligeable de donner accès à un nombre plutôt considérable d'ouvrages en l'espace d'un boîtier haut comme un livre de poche et épais comme une tranche de quiche lorraine, ou à peine. Un Gitan de sept ou huit ans se trouvait là avec sa mère qui, en ce dimanche après-midi presque ensoleillé, avait cru bon de l'emmener voir les machines tourner, et s'ennuyer pendant la durée du tour de sèche-linge. Il était écrit que lui et moi devions engager une conversation; le plus difficile fut de lui expliquer où se trouvaient les livres de la tablette de lecture, et pourquoi je ne pouvais pas les en sortir pour les lui montrer.

     Cet enfant adorable et très dynamique apprenait à lire. Une fois que j'eus révisé mentalement et en quelques secondes mon programme de CP, nous nous sommes engagés dans le déchiffrement de toutes les lignes d'écriture que nous trouvions autour de nous. S-E-C-H-E-L-I-N-G-E. S-è-c-h-e-l-i-n-g-e (je ne me rappelais pas que les minuscules étaient aussi difficiles). L-A-V-A-G-E (ah, c'est plus simple, il n'y a pas de doubles consonnes) Et... ah ça qu'est-ce que ça veut dire ? Heu c'est du luxembourgeois en fait. - Mais je croyais que tu savais lire !!! Puisque les plus beaux enseignements sont les enseignements réciproques, il finit par m'apprendre un tour de cartes. Sapristi, je n'avais pas fait de tour de magie depuis le CM2, mais c'est quand même follement amusant. A Longwy.

     Voilà mon linge propre... peut-être aurai-je donc l'honneur de rencontrer François Hollande, en visite le lendemain non loin de chez nous ? Notre Président se rendait lundi à Florange, dans une usine où il estime avoir tenu ses promesses, et France 3 Lorraine avec lui (tiens?). Plusieurs millions d'euros ont été investis dans des équipements à la pointe du progrès, dont, paraît-il, “un four sous vide high tech qui permettra une montée en gamme des produits métallurgiques français.” Le secrétaire général de la CGT d'Arcelor-Mittal a déclaré en refusant de s'entretenir avec le Président de la République, comme dans une relation passionnelle : “On n'a plus rien à se dire !” Qui a raison, qui a tort, ce n'est pas l'objet de cette chronique de trancher le débat, ni même de le présenter de manière objective, mais il y a au moins une chose qu'on peut reconnaître à François Hollande, c'est qu'il se déplace jusqu'en Lorraine.

     Le temps passe, et je n'ai même pas eu le temps de vous parler du groupe de rap composé de deux personnes (fort jeunes) qui tourne ses clips sous la Porte de France pour les publier sur Youtube – paradoxe culturel qui réjouira tous les bobos friands de post-modernisme iconoclaste. Titre “rap 54 Longwy” - quelques citations mémorables : “j'ai pas l'permis j'm'en bats les ***”, “aïe aïe aïe” (bis), “eh oui c'est du rap du 54”... “on va aller plus loin qu'la NASA” (bon courage). Derrière, un mec qui se cache courageusement sous sa casquette en consommant ostensiblement une cigarette avec de la fumée (un rebelle, quoi). Pour ma part, je vous demande de pardonner mon snobisme culturel et de me laisser écouter une chanson autrement plus entraînante enregistrée par Corringe sur un 33 tours au début des années 80, et dont le refrain, avez-vous déjà deviné ? n'est autre que : Longue vie (à) Longwy !


Thursday, October 13, 2016

Dix questions que je me pose encore sur Longwy

La petite Longovicienne
(la petit sœur de la grande)


Dix questions que je me pose encore sur Longwy :

1. Pourquoi la grande ville la plus proche de Longwy est-elle la capitale d'un pays étranger (Luxembourg, capitale du pays du même nom) ? Et pourquoi la grande ville française la plus proche, Metz, est-elle la préfecture d'un autre département, la Moselle ? La préfecture de Meurthe-et-Moselle, Nancy, est à l'autre extrémité du département. Certains diront que c'est à cause de l'annexion allemande de la Moselle entre 1870 et 1918, eh bien merci les Allemands pour nos déplacements au rectorat d'académie, on voit que ce n'est pas vous qui faites les deux heures de train. Bien sûr, ces paradoxes sont résolus si l'on considère plutôt que Longwy est au carrefour de villes majeures de l'Est, mais c'est une chose de le dire, une autre de le vivre.

2. Pourquoi les Français habitant en France (à Longwy, par exemple) mais ayant travaillé au Luxembourg, reçoivent-ils leurs indemnités chômage de la part du contribuable français, à hauteur du niveau de vie luxembourgeois ? Autrement dit, si vous avez été femme de ménage au Luxembourg, votre indemnité sera plus élevée que si vous avez eu à balayer les couloirs de la mairie de Longwy (au demeurant pas très longs). Oh, vous ne voulez pas une prime d'expatriation non plus ?

3. Pourquoi, malgré l'éloignement relatif de l'Orient, les restaurants de type kebab sont-ils aussi nombreux par ici ? Et pourquoi, malgré la proximité relative du pays de la charcuterie (j'ai nommé l'Allemagne, Francfort se souvient peut-être de mon passage avant ma conversion au régime végétarien), trouve-t-on autant de boucheries halal ? (S'ils font du porc halal ils sont pardonnés.) Un peu de plus, et si je continue d'écrire ce paragraphe, je pourrai bientôt dire : Je suis Charlie. Hum hum, en fait j'aime beaucoup les kebabs halal. Bon, c'est juste qu'a priori, quand on pense à Longwy, on s'imagine des vitrines pleines de quiches lorraines et des pommes de terre sautées aux lardons plein les restaurants (pas vrai ?).

4. Pourquoi Longwy bas, le berceau historique de la ville, l'emplacement du véritable Longwy médiéval, est-il aujourd'hui autant délaissé et si calme ? A croire qu'il n'y en a que pour Longwy haut.

5. Pourquoi y a-t-il sept stations-service dans une ville aussi mineure que Longlaville (sauf mon respect pour ses habitants) ? Pourquoi toutes ces stations-service sont-elles pile poil du côté luxembourgeois de la frontière ? Et pourquoi l'essence est-elle à moins d'un euro le litre là-bas alors que ce n'est pas toujours le cas en France ? Et pourquoi vendent-ils autant de cigarettes à la boutique ?

6. Pourquoi Louis XIV, quand il est passé dans la région avec ses armées autour de 1678, n'a-t-il conquis QUE Longwy et laissé le reste au duché de Lorraine ? Peut-être Longwy était-il le plus facile à conquérir, et un bel emplacement pour faire construire une place forte à Vauban en haut d'une colline.

7. Pourquoi (et cette question s'adresse éventuellement aux habitants de Longwy qui tomberaient sur cette chronique), pourquoi les gens du coin s'accrochent-ils aussi frénétiquement à l'excuse de la famille pour passer toute leur vie au Nord de la Lorraine ? Même si j'étais des environs depuis sept générations, je ferais déménager tous les cousins au soleil (heureusement pour moi, une bonne partie de mes cousins sont déjà du côté du soleil).

8. Pourquoi fait-il toujours un peu plus beau à Longwy haut qu'à Longwy bas, pourquoi Longwy haut est-il toujours un peu moins couvert que son frère le bas ? (Cette question peut peut-être servir de réponse à la question 4.)

9. Comment Chet Baker a-t-il pu interpréter un titre musical du nom de "Sweet Lorraine" ? Il ne parlait sans doute pas de la même.

10. Enfin, la question philosophique qui vaut peut-être le plus la peine d'être posée, qui en tout cas prend tout son sens pour qui reçoit ses résultats d'affectation de l'Education Nationale : y a-t-il pire en France que Longwy ? Eh bien, franchement, je pense pouvoir répondre sans trop prendre de risque que oui. Bien sûr, j'ai des collègues qui ont été affectés ici sans même avoir mis le lycée dans la liste de leurs 13 vœux, sans même avoir entendu parler de Longwy auparavant dans leur existence... et pourtant, que doivent penser celles et ceux à qui l'on attribue le collège d'un patelin des environs, je ne mentionnerai pas de nom pour rester politiquement correct s'il est encore possible de sauver les meubles à ce stade. Bon, et puis nos élèves sont vraiment sympa dans l'ensemble, et il y a un paradis fiscal pas loin, et un taux de consanguinité inférieur à celui des Vosges, et tous les autres avantages que j'ai déjà eu l'occasion de mentionner. Longoviciens, n'avons-nous pas des raisons de nous réjouir après tout ?


Tuesday, October 4, 2016

Longwy sans Longwy

La Longovicienne

Chronique d'un pays oublié
paraissant le mardi


     Je peux désormais le confirmer aux Lorrains : la Méditerranée existe. Aussi étrange que cela puisse paraître, je me suis surpris, ces derniers temps, à délaisser, aux fins de semaine, l'indéfectible couple de la fraîcheur et du calme longoviciens, pour rendre visite à des amis, à des membres de ma famille, ailleurs en France. Comment ? Mais tes parents ne sont pas de Longwy, Mexy ou Lexy ? Tes frères et sœurs n'ont pas planifié toute leur carrière et leur vie familiale jusqu'au jour de leur mort à Herserange, Rodange ou Aubange ?... Auraient-ils eu la dureté de cœur de se déraciner de Mont-Saint-Martin, Cosnes-et-Romain ou Longlaville ? C'est là ce qu'auraient pu m'objecter certains collègues, concitadins ou vendeurs au guichet SNCF, puisque ici on achète encore ses billets à la mode traditionnelle.

     Vous aurez compris qu'il faut une bonne raison pour habiter Longwy : la famille, un fiancé ou une fiancée, les allocations du Luxembourg, une mutation à pile ou face dans l'Education Nationale ou, à la limite, un logement à vie attribué par l'usine à laquelle vous avez sacrifié votre corps et votre santé au point que vous pouvez encore à peine conduire une voiture pour vous échapper. Les pouvoirs occultes de l'administration, entre les mains desquels notre destin repose, vous le font deviner, car les moyens de transport publics de sortir de la ville sont fort limités, pour ne pas dire dissuasifs : les TER de Nancy ou de Luxembourg peuvent vous tirer de là, mais si vous comptez rejoindre Metz, la grande ville française la plus proche, il faudra vous fendre de 55 minutes d'autocar à 9 euros pour attraper votre TGV, autocar qui ne passe pas non plus dix fois par jour, ce qui se comprend car, soit que personne ne soit tenté par Longwy, soit que personne n'ose le quitter, cet autocar est loin d'être plein.

     C'est donc avec le sentiment d'être d'une certaine manière privilégié que je quitte les cours tardifs du vendredi soir (ne soyez jamais prof dans une matière à options) pour me rendre dans la capitale et la région parisienne, faute d'avoir été enraciné dans le "Haut-Pays", comme on dit pudiquement ici, depuis sept générations. Voilà notre ville lumière, qui tire paradoxalement son surnom de son état nocturne – je vous laisse imaginer le surnom de Longwy - ; quel étonnement, déjà, de voir des passants dans les rues, même de nuit, même à 23h59 du soir ! Ils sortent, vont dans les restaurants, fréquentent certaines boutiques encore ouvertes (quoi ? après 17h30 ?), se bousculent ou se poursuivent dans d'interminables couloirs souterrains, qui ne sont pas ceux d'une mine de fer ou de charbon, mais ceux d'un train, non pas d'un autocar, d'un train, qui les mène aux endroits de leur choix festoyer, rire, manger, alternativement et simultanément.

     Evidemment, le fait d'avoir habité à Longwy change le regard qu'on porte sur le monde; rien n'est plus comme avant; tout est neuf et ce n'est pas totalement un hasard si je comparai il y a peu Longwy à Los Angeles dans une précédente chronique : le dépaysement est à la hauteur.

    Vous avez de longues avenues à Paris, de grandes rues; vos voitures ne connaissent pas la sinuosité des collines de Lorraine, quoiqu'elles affrontent parfois les hauteurs d'un Montmartre ou d'une butte Chaumont. Vos monuments anciens ne sont pas que des bâtiments militaires, vos gares sont plus grandes que nos lycées, vous avez des jardins, pas seulement des forêts. Et pourtant vos pieds battent le trottoir d'un air parfois monotone, faisant semblant de ne pas savoir que le Pont-à-Mousson de vos plaques d'égout est une ville de Lorraine, sans laquelle vous tomberiez peut-être au beau milieu des rats malades des égouts ou d'un gang d'adolescents sataniques des catacombes.

     Pourtant, tout n'est pas Paris, même en France, et quitte à quitter Longwy, pourquoi se refuser le train de Montpellier, du Sud, du soleil et des coquilles Saint-Jacques ? Quel plaisir de retrouver dans le train, dès l'heure de l'apéro (le premier, celui du matin), les méridionaux qui prononcent leur pastis avec un accent plus délicieux encore que la boisson qui en est peut-être la cause lointaine et indirecte ! Je me sens déjà à Marseille ou à Sète, et ce n'est pas dans l'ennui que j'entends, tout en feignant la lecture de quelque obscur ouvrage de l'Est, le compte-rendu détaillé du festival d'Avignon de cet été que Jean-Claude, cinéaste, fait à Céline, dont la nièce se marie, mais pas à l'église (n'ayez jamais l'indiscrétion d'écouter les conversations des gens dans le train). Le charme du Sud, ses souvenirs d'enfance entre les oliviers et ses promesses en l'air, s'est emparé du wagon, cet ouvrage de métallurgie dont le nom devrait pourtant rappeler plutôt la Belgique ou l'Allemagne.

   Montpellier n'a rien perdu de sa lumière; elle est plus douce, moins solennelle que celle de Lorraine, et surtout froncée de moins de nuages. L'atmosphère de toute la ville en est différente, et influence jusqu'aux sourires, artificiels ou vrais. Elle invite aux apéritifs (le deuxième), aux olives que l'on frotte sur du pain grillé, aux tomates-cerises si parfumées que leur goût tient presque autant de la tomate que de la cerise, aux gressins croustillants et aux limonades naturelles, qui vous consolent non seulement de l'absence de mirabelles, de tartes aux mirabelles, mais aussi de la liqueur de mirabelle, ce qui n'est pas un petit compliment, mon cher Sud. Oui, revoilà les fruits, leurs couleurs, leur goût, les légumes variés des marchands de l'agriculture biologique, qui changent en quelque sorte des choux et des pommes de terre.

     Le beau temps et l'aménagement urbain vous crient : vélo ! Saisissant sans attendre le bonheur de pistes cyclables où l'on peut croiser des figures humaines et pas seulement des scooters ou des motos, je m'exécute. Enfin, au bout du chemin, on vient tremper ses doigts dans l'eau bien méritée, même si maintenant elle est froide, au moins pour pouvoir dire en rentrant là-haut. Et Palavas-les-flots, Carnon, la Grande Motte, le Grau du roi, sagement couchés au bord des vagues, servent leurs dernières glaces à la fraise aux touristes qui n'ont pas opté pour la promenade de pêche familiale organisée par une société locale sur un chalutier de plaisance, pour employer une expression aussi paradoxale que l'embarcation et l'activité qu'il désigne.

    Un jour, après les promenades sur la plage avec vos chers grands-parents, les discussions aux terrasses des restaurants, dans les rues animées d'une ville où Rabelais fit ses études de médecine et qui en garde, encore intact, tout l'esprit facétieux, une voix sérieuse venue de l'Est susurre dans votre tête qu'il serait peut-être temps de rentrer. Puisque le covoiturage d'un homme qui n'a finalement pas osé retourner chez lui a été annulé (il habitait pourtant à Longwy, je ne comprends pas), je me saisis d'un car où je pourrai fermer les yeux pour imprimer en moi le plus longtemps possible quelques couleurs et quelques sons du Sud, afin d'affronter le plus sereinement possible le calme trop grand d'une semaine supplémentaire...

     Ah, ah, mais qu'à cela ne tienne, puisque à la fin de semaine suivante, je dois descendre encore deux fois dans le Sud : une fois dans celui de la Bourgogne, pour un mariage, et une autre à Nancy, qui se trouve bien à l'autre extrémité de notre département. Le rectorat avait en effet convoqué certains d'entre nous à une formation d'aide à la prise de fonctions pour enseignants nouvellement arrivés au niveau lycée (et dire que je me lamentais d'avoir perdu mon profil Tinder!). Au moment des présentations, j'enchaîne innocemment Los Angeles avec Montpellier, avant de terminer soigneusement ma phrase par ma récente ville d'affectation : Longwy. L'effet loupe rarement et le plaisir malin pour moi est toujours aussi intense, car que voulez-vous? on se dédommage comme on peut d'une telle localité apparue dans une vie pourtant bien innocente par ailleurs. Cependant, j'aurai aussi la consolation d'un aperçu sur Nancy, une fois le soir venu.

    Parisiens, Bretons ou Basques, qui que vous soyez qui lisez cette chronique, du point d'observation où vous vous trouvez, Longwy et Nancy peuvent paraître vaguement équivalentes. Pourtant, il n'en est rien : on ne peut pas dire "j'ai habité à Nancy" comme on dirait "j'ai fait Longwy"; on a fait Longwy comme on a fait une bataille, on a risqué sa vie en quelque sorte, au moins une année ou deux de celle-ci, si bien qu'un peu comme au Verdun voisin, on peut dire, après, non sans une certaine fierté : "j'y étais !" Alors que lorsque deux nancéiens se rencontrent au hasard du chambranle d'un salon parisien, vous pouvez vous douter qu'après un émerveillement passager ("toi aussi tu connais donc la Lorraine ?"), ce ne seront probablement que mondanités ("ah, tu connais Untel toi aussi, il jouait du violon sur la place Stanislas le jeudi après-midi pour payer ses études au Nancy business school !"), à peu de choses près.

     Car lorsqu'ils disent la Lorraine, ils n'entendent pas la même chose que nous. Ils voient une ville, et nous voyons des usines : bien sûr, nous avons aussi une ville et ils ont des usines, mais les proportions de l'une et de l'autre sont objectivement bien différentes. Nous avons le pays des ouvriers, ils ont celui des patrons; nous avons le pays des forteresses, ils ont celui des ducs qui récoltent la gloire des batailles et donnent leur nom aux rues et aux statues des squares; notre chair à canon comme notre chair à usine ont été conçues quelque part dans une classe préparatoire d'ingénieurs du lycée Henri Poincaré, sauf mon respect pour ce grand mathématicien. Ils sont la province de Paris, nous sommes la province de la province, le provincialisme élevé au carré, à la puissance supérieure.

     Pourtant, je retournerai un jour découvrir Nancy : son architecture Art Nouveau me fait penser au village des Schtroumphs et m'intrigue; ses lampadaires aux formes végétales se confondent avec les plantes des parcs. Et puis, au-delà des rives de Meurthe, du quartier Charles III et de la Vieille-Ville Léopold, il y a Lorraine magazine, que vous pouvez trouver gratuit dans certains établissements (je laisserai planer le mystère en ne disant pas lesquels). Ce magazine vaut à lui seul le détour dans la ville et son commentaire aurait aisément rempli à lui seul tout le volume de cette chronique. "Edito : Qu'est-ce qu'on fait ce week-end ? En lisant les pages qui vont suivre, vous aurez peut-être un début de réponse." Déjà, ça commence mal. Ah pardon, lecteur, je ne voulais pas te blesser, peut-être organises-tu, toi, tes week-ends dans Lorraine magazine ? Moi qui habite Longwy, ce n'est pas mon cas, mais sans doute ai-je tort.

    Ensuite, un peu de bullshit pour vous faire annuler votre week-end dans le Sud et revenir à la frontière luxembourgeoise : "C'est peut-être la plus belle saison en Lorraine... Pas encore l'hiver, mais plus tellement l'été, cette saison nous invite à faire un petit tour du côté de dame nature." (La discrétion et la légèreté des périphrases nous indiquent que l'auteur avait beaucoup de choses à dire sur l'automne. Mais voyez la suite (commentaires entre crochets) : "La promenade à travers le jardin offre un parcours ponctué de symboles : Homme à moustaches représentant la rencontre de l'homme avec la nature [wtf ??], arbre de chance en forme de trèfle à quatre feuilles symbolisant la vie sur terre [ah bon c'est nouveau je croyais que c'était pour la St-Patrick]... autant d'allégories propices à la rêverie." Oui, surtout l'homme à moustaches.

     Autre article, sur un pub de rock intitulé Chez Paulette. En soi, le lieu fait envie, l'histoire en est touchante (un petit-fils qui reprend le bar de sa grand-mère rockeuse), même si sortie de son contexte, cette enseigne vous fait peut-être sourire. C'est plutôt le ton de l'article qui me fait sourire, à base de "comme le dit le dicton, les apparences sont parfois trompeuses", "ce lieu a du cachet, contrairement à des salles comme le Zénith", ou "pour ses six premiers mois en tant que grand manitou, ce dernier avoue en avoir chier" – passe pour le gros mot, c'est un article de rock, mais pour la faute d'orthographe... je tourne furieusement les pages pour apprendre la cause de la chute des feuilles en automne ou le moment idéal pour nourrir les oiseaux (dans les longues après-midi d'automne ou d'hiver lorrain), mais là aussi, je trouve assez de fautes de grammaire pour me consoler de mes copies d'élèves.


     Ah, j'aurais encore beaucoup à dire, sur le charme des mariages bourguignons, sur la difficulté de revenir ensuite en Lorraine par le train (puisque chez nous, pour aller d'une province à l'autre, il faudrait tout le temps passer par Paris...), sur Metz, dont on comprend que les Allemands auraient voulu la garder pour eux : son église entre deux berges fait penser à un Paris de l'Est, et son centre Pompidou est loin d'être le débarras du premier (vous y retrouverez peut-être le Kandinsky de votre fond d'écran d'ordinateur); ses monuments d'actions de grâce qui remercient deux fois la Vierge : "Merci, Marie, d'avoir, en 1918 et en 1945, rendu la Moselle à la France (et de lui avoir laissé le concordat de 1805 !!!)". Nous nous intéresserons plus tard à l'Eglise et à l'Etat, qui ne sont pas séparés en Alsace-Moselle comme dans le reste de la France, depuis 1905, et aux questions que cela peut susciter. En attendant, je ne franchis pas la frontière, je reste en Meurthe-et-Moselle où le temps passe si lentement que je trouve parfois qu'on mène une longue vie, à Longwy !