Tuesday, March 21, 2017

Longwy-bas dreaming

La Longovicienne

Chronique d'un pays oublié
paraissant le mardi


     Je ne suis pas de ceux qui rêvent de fuir la ville qu'ils habitent ; j'admets une certaine inconstance, certes : mon amour pour Longwy a ses hauts et ses bas, et parfois il me semble que ce n'est qu'une amitié un peu distante, un compagnonnage auquel on se résigne, faute de posséder une villa sur la côte d'Azur et suffisamment de points dans l'Education Nationale pour être muté sur la Méditerranée.

     En tout cas, ce n'est nullement par dégoût du réel, ou alors pas totalement, que je me suis replongé récemment dans les cahiers de rêves que j'ai la faiblesse de tenir chaque matin depuis plusieurs années.

     Cependant, de tous les songes étranges ou loufoques, de toutes les histoires de monstres ou de lieux inquiétants, de tous les comportements irrationnels et les hasards incroyables, le plus grand sujet d'étonnement me paraît être celui-ci : je n'y trouve que de rares mentions de notre ville. Et même, tout ce que j'ai l'impression de vivre dans cette étrange cité métallurgique de l'Est au quotidien ressemble étrangement à quelque chose comme la réalité.

     Pour l'instant, je me pince sans pouvoir me réveiller, mais je dois vous avouer que je serai bien soulagé, quand le soleil aveuglant d'une matinée de septembre me dira, sur son ton ironique et moqueur : "Mais non, imbécile ! Cela fait bien longtemps que tu vis en Californie !"

     Alors qu'à l'autre bout de la terre, en Nouvelle-Zélande ou aux îles Galapagos, quelqu'un se demande peut-être, à l'heure qu'il est, s'il n'est pas lui-même aussi en train de rêver ou s'il est bien en train de poursuivre son tour du monde d'un an et demi improvisé sur un coup de tête, je songe au pari, plus fou peut-être, que j'ai fait un jour en demandant une mutation dans la cité folle de Longwy (pensant bien sûr que ce serait le type des îles Galapagos qui irait à ma place, et inversement).

     Un ami -et néanmoins collègue- rêve, à juste titre, de Floride : les pluies chaudes sont sans doute préférables aux pluies froides ; elles attirent plus de bikinis que de doudounes et d'écharpes. Je ne préfère pas en soi les premiers aux seconds, et je ne recommande pas d'accoutrement léger les jours de neige ; mais les vêtements de bain ont toujours été associés dans mon esprit à la présence de soleil et de vagues dans les environs, jusqu'au jour où j'ai découvert la piscine municipale de Longwy, lieu dont j'aurai l'occasion de toucher un mot dans un prochain billet. En attendant, Armando Christian Pérez, le chanteur miaméen qui se produit sous l'original nom de scène canin de Pitbull, oublie, dans son titre "International Love", de mentionner la cité des émaux ; il ne se fait pourtant pas faute de citer New York ou Rio de Janeiro.

     Il est loin le temps où Johnny, où Demis Roussos (ce chanteur qui ressemble tant à Raël) venaient, de gré ou de force, enchanter d'une voix cristalline ou, au contraire, d'une voix tourmentée sur le mode du fried voice, les oreilles de nos concitoyens. Il y a quelques semaines, le bâtiment des Thermes accueillait encore les artistes qui acceptaient de se produire dans le Pays-Haut ; cet édifice, l'un des plus imposants de la place Leclerc de Longwy-bas, avait sa salle de spectacle, avec ses balustrades, son lustre et ses guéridons ; un goût classique quelque peu imité de la Belle Epoque vous plongeait comme dans un autre monde, du moins dans un temps différent ; n'oubliez ni la terrasse, même si elle ne servait pas en toute saison, ni surtout le lounge, qui n'était pas fait de simili canapés roses en mousse et de lumières pourpres tamisées, mais d'authentiques meubles anciens, de fauteuils en bois et de tapis d'intérieur bourgeois, comme un vrai salon. Cet établissement que Le républicain lorrain se félicitait de voir réouvrir à l'été 2015 vient de fermer définitivement.

     Je regrette de n'avoir pu connaître ce lieu que par le bouche-à-oreilles, la légende et quelques photographies, alors qu'il est sous ma fenêtre et que ce n'est que l'occasion d'en franchir le seuil qui m'aura manqué durant ces premiers mois longoviciens. Sa seule histoire mérite qu'on lui rende hommage d'un détour narratif : il date de notre grande époque, celle où l'on crut découvrir dans le sol de Longwy un trésor.

     Vous connaissez le trésor de la minette, notre minerai de fer, peu dense en fer mais si abondant sous nos pieds, ainsi que le charbon des environs ; à force de forer, le maître des forges en avait pourtant trouvé un autre, plus liquide. Il ne s'agissait ni de pétrole, ni de rivières souterraines de chocolat, mais tout de même d'une ressource qu'on savait apprécier en cette première moitié du XXe siècle, et qui pouvait vous transformer un paysage, voire enrichir une municipalité en attirant les touristes, les pensionnaires : le sous-sol de Longwy recèle des sources d'eau pure, il ne restait plus qu'à lancer une ville thermale ; la cité du métal pouvait bien devenir aussi celle du bien-être, puisque Vichy, Balaruc ou Aix-les-Bains l'étaient devenus à la faveur de quelques bassins et massages de boue.

     Sous le ciel que les usines rendaient rouge et noir, on trouva la place pour un espace vert : le parc des Récollets était né. Plante-moi un tilleul par-ci, un tilleul par-là, comme dans les maisons de retraite, et tout autour du bassin aux poissons, les promenades seront agréables, puisqu'on peut descendre les pelouses sur des escaliers que de fausses rocailles font comme mettre en scène. La grande allée de terre battue, qui pourrait être l'équivalent longovicien des passages du Jardin des Plantes de Paris, avait sa grille, que soutenaient deux poteaux représentant, dans les formes de la pierre, de faux bouquets abondants ; maintenant que le parc est public, cette grille a été déplacée dans une cour au coin de la rue ; on y lit encore, en une courbe qui fait penser à celle d'un arc-en-ciel ou au panneau du pier de Santa Monica : Eaux de Longwy.

     En face, un bâtiment plus modeste qui fait penser à une demeure de lutins ou une carte postale des années 1900 : aujourd'hui, l'école privée des Récollets, autrefois, l'usine d'embouteillage de notre ville. Eh oui, croyez-le ou non, mais il fut un temps où vous pouviez boire de la Longwy comme vous buvez aujourd'hui de l'Evian ou de la Vittel. J'attends avec impatience le jour où je pourrai fouiller les brocantes d'Arlon ou de Metz pour retrouver l'un de ces précieux contenants de verre, ou du moins leur étiquette.



     Quels furent donc les inconvénients, les obstacles irrémédiables qui empêchèrent notre économie de prospérer aussi sous ce rapport, et firent des Eaux de Longwy une mauvaise affaire pour notre comte de Saintignon ? D'abord, peut-être la date : l'ensemble des installations fut ouvert le 3 août 1914, et la guerre qui suivit fut plus longue que prévu (il paraît même qu'il y en eut une seconde trente ans plus tard). Ensuite, les fumées du ciel étaient peut-être peu compatibles avec l'idée de ville thermale où l'on pût venir soigner sa tuberculose ou rendre leur jeunesse à ses poumons, aussi naturellement claire que fût notre eau lorraine. Cette dernière survécut dans les bouteilles des Récollets jusqu'en 1921, mais certains soupçonnent nos concurrents de Mondorf-les-bains d'avoir précipité notre chute, car les querelles de clocher iraient parfois jusqu'à la perfidie : c'est d'ailleurs ce qui rend leur saveur si délicieusement amère.

     Enfin ! C'est beaucoup parlé du passé, parlons un peu de l'avenir. Hier soir, les habitants de Longwy étaient conviés à une réunion publique et citoyenne : la place Leclerc va s'effondrer, tel était le thème, que je dois avouer trouver d'autant moins rassurant que cette dernière se trouve sous ma fenêtre. Oui, depuis plusieurs mois, de robustes plots rouges et blancs ont été placés sur le parking pour délimiter le périmètre sur lequel les automobilistes peuvent encore se garer sans craindre de voir leur voiture engloutie sous les pavés ; précaution qui semble bien nécessaire, quand vous savez que le marché de Longwy-bas se tient encore ici tous les samedis. Elle est simple, la cause de tous ces dangers : la rivière locale, la Chiers, a été enterrée et coule sans bruit sous cette place Leclerc. Ces réunions à la mairie ont certainement un caractère rassurant ; la seule chose qui m'inquiète est la rumeur selon laquelle à cause d'une erreur de géométrie, les plots de mise en garde auraient été placés au mauvais endroit.

     Longwy a son goût de ruines, c'est aussi ainsi que nous l'aimons ; mais point trop n'en faut. Je me délectais, l'autre soir, lors d'une promenade nocturne, d'un vieux manoir abandonné que l'on pouvait voir à travers une grille rouillée : les lueurs fatiguées des réverbères de la rue d'en face laissaient deviner les volets fermés ou défoncés et les buissons plus taillés depuis longtemps ; l'atmosphère lugubre qui aurait fait frémir d'enthousiasme un réalisateur de films d'épouvante atteignait son sommet avec le cliquetis d'une chaîne que faisait balancer le vent. Les rues vides et calmes invitent à des méditations profondes, quand la prudence imposée par les marches humides ou défoncées des escaliers ne rappelle pas à la réalité ; un chat se faufile ici ou là ; les maisons ouvrières, la façade Art Déco de certains vieux magasins produisent une impression encore plus intéressante dans l'obscurité. C'est dire combien Netflix est peu nécessaire quand vous habitez à Mont Saint-Martin ou Herserange, patelins de notre agglomération.

     Mais trève de pensées sinistres et de larmes versées sur le naufrage de notre passé. Ce dernier peut revivre. La preuve en est qu'un ancien templier, réincarné dans le corps d'un professeur du lycée de notre secteur, fait connaître son hameau de Mont-Saint-Martin d'une manière qui honore notre terroir. Une expérience aux portes de la mort lui a non seulement permis de se souvenir de ses vies passées, mais aussi de trouver l'inspiration architecturale pour se bâtir une maison à laquelle aucune autre ne pourrait ressembler : sa pierre de taille est magnifique, et la finesse des sculptures et ornementations qui décorent son extérieur font davantage penser à une chapelle du XIIIe siècle qu'à une habitation du XXIe.

     Les Compagnons du Tour de France s'y arrêtent chaque année pour apprendre du maître des lieux. Après des travaux de précision dans des ateliers hautement techniques, il a su fabriquer lui-même les outils qui lui ont permis de donner à la pierre la forme de ses rêves, tiens les revoilà. Les dimensions de chaque bloc mesurent en centimètres un chiffre symbolique, pour ne pas dire kabbalistique ; de nombreuses écritures, issues des runes ou des caractères égyptiens, ou de caractères pictogrammatiques que je n'ai pas l'heur de savoir déchiffrer, font des façades un grand roman, ou un livre mystérieux et sacré ; en haut de la cheminée qui ressemble à une tour, s'élève un trident de métal : c'est le paratonnerre, car il paraît que c'est utile dans la région. Sur le palier, la statue d'un templier, clin d'oeil à un passé lointain. Si vous aimez le black métal ou les investigations dans le monde de l'occulte, frappez à cette porte que je n'ai pas osé pousser.

     A défaut, vous aurez quelques jours de soleil, comme en a égrené la semaine passée, sans doute par une agitation de la nature dans son sommeil des derniers jours d'hiver, quand elle pressent ce printemps promis pour le 21 mars (promesse non tenue) ; si vous bénéficiez de ces jours clairs entre d'autres nuageux, n'oubliez pas de louer un gîte dans la campagne pour faire les fous avec vos amis le temps d'un week-end : certaines façades de maisons ouvrières recèlent en fait des intérieurs meublés au style épuré des années 1960, et la clarté de la vue sur les champs fait frissonner l'âme du bobo qui dort en vous, même si votre conscience politique n'a pas encore voté pour Emmanuel Macron.


     Saluez le chien, ne bousculez pas la grenouille de cuivre qui décore le palier, et en vous servant une part de fromage au milieu d'une conversation où vous confessez votre goût pour les épisodes de Columbo, fermez un peu les yeux de la raison pour ouvrir ceux du coeur et refuser les prophéties de ruine et de destruction qu'on fait à notre ville dans un désagréable fracas qui rappelle par trop celui d'un bris d'émaux, et, sans hésiter, criez intérieurement, avant de pouvoir savourer une part du dessert avec la bonne conscience d'un citoyen fidèle à sa terre d'élection : Longue vie, à Longwy !


Tuesday, January 3, 2017

Bref portrait sensoriel de Longwy


     Après quelques jours bien remplis de chocolat, d'huîtres, d'un criminel foie gras et, parfois, de repos, vous avez peut-être retrouvé la monotonie d'un quotidien que l'hiver ne fait que rendre plus gris. Si tel est le cas, je vous prie de bien vouloir néanmoins recevoir comme une carte de vœux ces quelques vignettes d'un Longwy éternel dont l'étourdissant mystère permet, je crois, d'affronter la rudesse d'à peu près n'importe quelle routine : passez une belle et bonne année, que je vous souhaite pleine d'un bonheur de la saveur qui vous corresponde, même si ce dernier devait se trouver ne pas être lorrain.


     Longwy et ses couleurs : Longwy, c'est une place dont les bâtiments ocre se laissent difficilement oublier ; c'est la pierre de l'église Saint-Dagobert, de la mairie du XVIIIe siècle ou du musée du fer (à repasser). La mairie de Longwy bas est d'une pierre plus rouge, plus foncée, comme celle d'un frère plus sévère dont le front conserve une gravité léguée par le passé. Le reste des bâtiments est un échantillonnage de toutes les nuances de gris possibles dans les constructions humaines : le gris foncé de notre solide forteresse est magistral, mais n'oubliez pas le blanc-gris, jaune-gris, bleu-gris de toutes les façades de maisons qu'entoure parfois le rouge de lignes de briques ornementales.

     J'évoque là des couleurs que vous ne verrez qu'à condition que le blanc manteau de la neige ou notre étourdissant brouillard, ou les deux à la fois, ne vous les refusent pas. Le ciel blanc étouffé de ce brouillard prend la relève de nos ciels nocturnes d'automne au bleu à la fois foncé et pur, sans la pollution visuelle d'une tour Montparnasse ou d'un ciné-cité. Le noir bleuté du bitume défoncé de la grimpette laisse la place à quelques carreaux rouges qu'on a peine à dire décoratifs sous les lampadaires à éclairage jaune des années 90.

     Retrouvez aussi dans vos souvenirs les larmes rouges du lierre automnal sur la pierre tapissée de mousse des murs anciens. Et puis, évoquerai-je la couleur brillante des émaux blancs, bleus, rouges, jaunes, dorés parfois, mais surtout turquoise et rose des émaux de Longwy que je n'aurais même pas osé commander au père Noël le plus riche du pôle Nord ?


     Longwy et ses parfums : les odeurs de Longwy sont, hélas ! d'abord celles des voitures. Les usines sont parties, ont été démontées du premier écrou à la dernière vis, mais la pollution, si elle est moins intense que dans le temps, reste remarquée par les récents immigrés ruraux de la Meuse ou des Vosges. Dans la plupart des rues, on roule vite, comme par l'envie de fuir, ou simplement parce que la rue est vide ; la place Darche est un parking, ce qui ne contribue pas à purifier l'atmosphère. Heureusement, les bois de Longwy sont accessibles à pied, et les quads bruyants n'ont pas encore réussi à déflorer toute leur fraîcheur, même si l'autoroute, sous le parcours de santé forestier, apporte à cette tâche une contribution généreuse.

     Cependant, la ville sait aussi se parfumer d'odeurs domestiques : quel que soit votre eau de toilette, parfum ou eau de parfum, vous appréciez sans doute le climat favorable à sa conservation ; dans les pays chauds et les milieux où l'air est lourd, les parfums s'évaporent et les flacons se vident comme par magie ; ce n'est pas le cas ici. La cheminée des foyers lorrains gratifie en sus celui qui descend par les facilités pédestres ou affronte ses rues pentues, de la charmante odeur de feu de bois qui ne passe que dans les films et... je ne sais pas où, mais très loin dans nos mémoires, peut-être à l'époque où nous n'avions pour nous chauffer que les cheminées.


     Longwy et ses sons : le son le plus courant dans notre ville est le silence. C'est un beau son, calme, paisible, un peu sinistre parfois, parce que, disons-le, il peut rappeler la mort ou le dortoir, et n'est adouci par aucune brise marine, par le frémissement d'aucun palmier californien et aucun ruisseau de souvenir d'enfance, puisque la Chiers a été enterrée sous la place de Longwy bas. Ce silence est rompu de temps à autre par une voiture qui n'a pas le temps, qui fonce, voire par le kéké qui a oublié un peu vite, sur sa moto dans la rue déserte, qu'il n'était ni à Los Angeles, ni à Marseille. En décembre, vous entendrez le givre tomber grain à grain des branches calmes du chemin reliant le Haut au Bas, et la neige craquer sous vos pas prudents en janvier.

     Outre la voix charmante des conversations longoviciennes, souvent nuancée d'accents de différentes parties du monde fondus dans une sorte de rudesse ou de chaleureuse simplicité lorraine, vous entendrez peut-être le rire de cette corneille qui franchit les hauteurs de la citadelle du XVIIe siècle à vol d'oiseau tandis que vous, être humain, vous vous contentez d'un trottoir un peu moins ancien. Je ne parle pas de ceux qui commettent dans leurs écouteurs une fuite sonore hors de ce pays pourtant unique.


     Voilà pour ces quelques croquis sans autre prétention que de vous aider à savourer un Longwy que vous n'avez peut-être pas la chance de connaître. Sachez que le Longwy de janvier, sous la neige, est un émerveillement digne de tous les contes de fée de votre enfance. Hänsel et Gretel, par ici !