Après
quelques jours bien remplis de chocolat, d'huîtres, d'un criminel
foie gras et, parfois, de repos, vous avez peut-être retrouvé la
monotonie d'un quotidien que l'hiver ne fait que rendre plus gris. Si
tel est le cas, je vous prie de bien vouloir néanmoins recevoir
comme une carte de vœux ces quelques vignettes d'un Longwy éternel
dont l'étourdissant mystère permet, je crois, d'affronter la
rudesse d'à peu près n'importe quelle routine : passez une belle et
bonne année, que je vous souhaite pleine d'un bonheur de la saveur
qui vous corresponde, même si ce dernier devait se trouver ne pas
être lorrain.
Longwy et ses couleurs : Longwy, c'est une place dont les bâtiments ocre
se laissent difficilement oublier ; c'est la pierre de l'église
Saint-Dagobert, de la mairie du XVIIIe siècle ou du musée du fer (à
repasser). La mairie de Longwy bas est d'une pierre plus rouge, plus
foncée, comme celle d'un frère plus sévère dont le front conserve
une gravité léguée par le passé. Le reste des bâtiments est un
échantillonnage de toutes les nuances de gris possibles dans les
constructions humaines : le gris foncé de notre solide forteresse
est magistral, mais n'oubliez pas le blanc-gris, jaune-gris,
bleu-gris de toutes les façades de maisons qu'entoure parfois le
rouge de lignes de briques ornementales.
J'évoque
là des couleurs que vous ne verrez qu'à condition que le blanc
manteau de la neige ou notre étourdissant brouillard, ou les deux à
la fois, ne vous les refusent pas. Le ciel blanc étouffé de ce
brouillard prend la relève de nos ciels nocturnes d'automne au bleu
à la fois foncé et pur, sans la pollution visuelle d'une tour
Montparnasse ou d'un ciné-cité. Le noir bleuté du bitume défoncé
de la grimpette laisse la place à quelques carreaux rouges qu'on a
peine à dire décoratifs sous les lampadaires à éclairage jaune
des années 90.
Retrouvez
aussi dans vos souvenirs les larmes rouges du lierre automnal sur la
pierre tapissée de mousse des murs anciens. Et puis, évoquerai-je
la couleur brillante des émaux blancs, bleus, rouges, jaunes, dorés
parfois, mais surtout turquoise et rose des émaux de Longwy que je
n'aurais même pas osé commander au père Noël le plus riche du
pôle Nord ?
Longwy et ses parfums : les odeurs de Longwy sont, hélas ! d'abord celles
des voitures. Les usines sont parties, ont été démontées du
premier écrou à la dernière vis, mais la pollution, si elle est
moins intense que dans le temps, reste remarquée par les récents
immigrés ruraux de la Meuse ou des Vosges. Dans la plupart des rues,
on roule vite, comme par l'envie de fuir, ou simplement parce que la
rue est vide ; la place Darche est un parking, ce qui ne contribue
pas à purifier l'atmosphère. Heureusement, les bois de Longwy sont
accessibles à pied, et les quads bruyants n'ont pas encore réussi à
déflorer toute leur fraîcheur, même si l'autoroute, sous le
parcours de santé forestier, apporte à cette tâche une
contribution généreuse.
Cependant,
la ville sait aussi se parfumer d'odeurs domestiques : quel que soit
votre eau de toilette, parfum ou eau de parfum, vous appréciez sans
doute le climat favorable à sa conservation ; dans les pays chauds
et les milieux où l'air est lourd, les parfums s'évaporent et les
flacons se vident comme par magie ; ce n'est pas le cas ici. La
cheminée des foyers lorrains gratifie en sus celui qui descend par
les facilités pédestres ou affronte ses rues pentues, de la
charmante odeur de feu de bois qui ne passe que dans les films et...
je ne sais pas où, mais très loin dans nos mémoires, peut-être à
l'époque où nous n'avions pour nous chauffer que les cheminées.
Longwy et ses sons : le son le plus courant dans notre ville est le
silence. C'est un beau son, calme, paisible, un peu sinistre parfois,
parce que, disons-le, il peut rappeler la mort ou le dortoir, et
n'est adouci par aucune brise marine, par le frémissement d'aucun
palmier californien et aucun ruisseau de souvenir d'enfance, puisque
la Chiers a été enterrée sous la place de Longwy bas. Ce silence
est rompu de temps à autre par une voiture qui n'a pas le temps, qui
fonce, voire par le kéké qui a oublié un peu vite, sur sa moto
dans la rue déserte, qu'il n'était ni à Los Angeles, ni à
Marseille. En décembre, vous entendrez le givre tomber grain à
grain des branches calmes du chemin reliant le Haut au Bas, et la
neige craquer sous vos pas prudents en janvier.
Outre
la voix charmante des conversations longoviciennes, souvent nuancée
d'accents de différentes parties du monde fondus dans une sorte de
rudesse ou de chaleureuse simplicité lorraine, vous entendrez
peut-être le rire de cette corneille qui franchit les hauteurs de la
citadelle du XVIIe siècle à vol d'oiseau tandis que vous, être
humain, vous vous contentez d'un trottoir un peu moins ancien. Je ne
parle pas de ceux qui commettent dans leurs écouteurs une fuite
sonore hors de ce pays pourtant unique.
Voilà
pour ces quelques croquis sans autre prétention que de vous aider à
savourer un Longwy que vous n'avez peut-être pas la chance de
connaître. Sachez que le Longwy de janvier, sous la neige, est un
émerveillement digne de tous les contes de fée de votre enfance.
Hänsel et Gretel, par ici !